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Tag - modèles DSGE

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dimanche 15 janvier 2017

Quels modèles utiliser en macroéconomie ?



« (…) Nous avons besoin de différentes classes de modèles, et ce afin de réaliser des tâches différentes.

Je vais me focaliser sur deux classes de modèles.

Les modèles théoriques, visant à clarifier les questions théoriques dans un cadre d’équilibre général. Les modèles de cette classe doivent se construire à partir d’un cadre analytique fondamental et avoir une structure théorique des plus robustes. Ils doivent être utilisés pour réfléchir, par exemple, aux effets d’un relèvement des ratios minima de capitaux que la réglementation impose aux banques, aux effets de la gestion de la dette publique ou encore aux effets d’une forme particulière de politique monétaire non conventionnelle. Ce cadre fondamental doit être celui qui est largement accepté comme point de départ et il doit pouvoir intégrer des distorsions additionnelles. En bref, il doit faciliter le débat autour des théoriciens en macroéconomie.

Les modèles de politique économique, visant à analyser les questions de politique macroéconomique courantes. Les modèles de cette classe doivent coller aux principales caractéristiques des données, notamment les dynamiques, et permettre de réaliser une analyse, notamment contrefactuelle, des politiques économiques. Ils doivent être utilisés pour réfléchir, par exemple, aux effets quantitatifs d’un ralentissement de la croissance chinoise sur l’économie américaine ou aux répercussions d’une relance menée aux Etats-Unis sur les pays émergents.

Ce serait une bonne chose si un unique modèle pouvait avoir une structure théorique robuste, élégante, tout en collant aux données. Mais c’est un rêve vain. Peut-être que l’une des principales leçons du travail empirique (du moins en macroéconomie et d’après mon expérience) est à quel point les preuves empiriques sont chaotiques, à quel point les dynamiques agrégées sont difficiles à rationaliser et à quel point plusieurs relations sont instables au cours du temps. Ce n’est peut-être pas surprenant. Nous savons, par exemple, que les relations agrégées peuvent très peu ressembler aux comportements individuels sous-jacents.

Donc, les modèles qui visent à atteindre ces deux objectifs sont condamnés à échouer, sur les deux dimensions.

Prenons les modèles théoriques. Les concepteurs de modèles DSGE, confrontés à des dynamiques complexes, mais désireux de coller aux données, ont étendu leur structure originelle en ajoutant, par exemple, la persistance externe des habitudes (pas simplement la persistance des vieilles habitudes régulières), les coûts d’un changement de l’investissement (pas seulement les coûts de changement du capital) et l’indexation des prix (que nous ne pouvons observer dans la réalité), etc. Ces changements sont entièrement ad hoc, ils ne collent pas aux données empiriques microéconomiques et ils ont alourdi et fragilisé la structure théorique des modèles.

Prenons aussi les modèles de politique économique. Les concepteurs de ces modèles, désireux de renforcer la structure théorique de leurs modèles, ont, dans certains cas, cherché à dériver les structures observées d’une certaine forme d’optimisation. Par exemple, dans le principal modèle utilisé par la Réserve fédérale, le modèle FRB-US, les équations dynamiques sont contraintes à être des solutions aux problèmes d’optimisation sous des structures de coûts d’ajustement de premier ordre. Cela m’a frappé. Les dynamiques actuelles reflètent probablement plusieurs autres facteurs que les coûts d’ajustement. Et les contraintes qui sont imposées (par exemple, sur la façon par laquelle le passé et le futur anticipé entrent dans les équations) ont peu de justification, théorique ou empirique.

Que doit-on faire ? Je suggère que chacune des deux classes de modèles suive sa propre voie.

Les concepteurs de modèles DSGE doivent accepter le fait que les modèles théoriques ne peuvent, et donc ne doivent pas, coller fidèlement à la réalité. Ces modèles doivent capturer ce que nous croyons être les caractéristiques macroéconomiques essentielles du comportement des firmes et des ménages et ne pas essayer de capturer toutes les dynamiques pertinentes. Ce n’est seulement alors qu’ils peuvent atteindre leur propos, rester suffisamment simples et fournir une plateforme pour la discussion théorique.

Les modélisateurs de politique économique doivent accepter le fait que les équations qui collent vraiment aux données peuvent n’avoir qu’une fragile justification théorique. En cela, les concepteurs des premiers modèles macroéconomiques avaient raison : la théorie du revenu permanent, la théorie du cycle de vie, la théorie du ratio q ont servi de guides pour spécifier le comportement de la consommation et de l’investissement, mais les données ont ensuite déterminé les spécifications finales.

Les deux classes de modèles doivent clairement interagir et bénéficier l’une de l’autre. Pour utiliser une expression suggérée par Ricardo Reis, il doit y avoir une co-intégration scientifique. Mais, selon moi, cela s’est révélé être contreproductif d’atteindre une intégration complète. Aucun modèle ne peut satisfaire pleinement tout le monde. »

Olivier Blanchard, « The need for different classes of macroeconomic models », 12 janvier 2017. Traduit par Martin Anota



« Dès que j’ai commencé à bloguer, j’ai régulièrement écrit des billets sur la méthodologie macroéconomique. J’ai notamment cherché à convaincre les autres macroéconomistes que les modèles économétriques structurels, avec leur mixture ad hoc de théorie et de données, n’étaient pas un vieux dinosaure à ranger aux oubliettes, mais qu’ils offraient une façon parfaitement viable de faire de la macroéconomie et de la politique macroéconomique. Je suis bien placé pour le dire car, au cours de ma carrière, j’ai utilisé aussi bien des modèles économétriques structurels que des modèles DSGE dans les articles que j’ai publiés.

Le troisième billet d’Olivier Blanchard sur les modèles DSGE fait exactement la même chose. Il est quelque peu confus lorsqu’il les appelle "modèles de politique économique" ; lorsqu’il écrit que "les modèles de cette classe doivent coller aux principales caractéristiques des données, notamment les dynamiques, et de permettre une analyse, notamment contrefactuelle, de la politique économique", il ne peut que faire référence aux modèles économétriques structurels. Je préfère les modèles économétriques structurels aux modèles de politique économique parce que les modèles économétriques structurels décrivent ce qu’il y a dans la boîte : ils sont qualifiés de "structuraux" parce qu’ils utilisent beaucoup de théorie, mais on les qualifie également d’"économétriques" parce qu’ils essayent de coller aux données et ils y parviennent. (…)

La façon par laquelle j’estimerais un modèle économétrique structurel aujourd’hui (mais pas nécessairement la seule façon valide) serait de commencer avec un modèle DSGE élaboré. Mais plutôt que d’estimer ce modèle en utilisant des méthodes bayésiennes, je l’utiliserais comme une base théorique, avec laquelle je débuterais le travail économétrique, soit sur une base équation par équation, soit comme un ensemble de sous-systèmes. Là où les structures de retard ou les restrictions inter-équation seraient clairement rejetées par les données, je changerais le modèle pour coller davantage aux données. Si certaines variables, non incluses dans la spécification DSGE, présentaient un fort pouvoir pour expliquer variables déjà incluses et auraient selon moi une relation causale avec celles-ci (c’est-à-dire pourquoi la spécification DSGE était inadéquate), je les inclurais dans le modèle. Cela deviendrait le modèle économétrique structurel.

Si cela vous semble terriblement ad hoc, c’est parce que c’est le cas. Les modèles économétriques structurels sont un mélange éclectique de théorie et de données. Mais ils vont toujours être utiles aux universitaires et aux responsables de la politique économique qui veulent travailler avec un modèle qui est raisonnablement proche des données. Ceux que j’appelle les puristes DSGE doivent admettre que les modèles DSGE ne collent pas aux données en plusieurs domaines, donc qu’ils sont mal spécifiés et que tout conseil de politique économique qu’ils peuvent délivrer est invalide. Le fait qu’ils satisfont la critique de Lucas ne suffit pas pour compenser cette mauvaise spécification.

En établissant la relation entre un modèle DSGE et un modèle économétrique structurel de la façon que je l’ai fait, cela rend manifeste pourquoi les deux types de modèles vont continuer d’être utilisés et comment les modèles économétriques structurels peuvent s’inspirer des modèles DSGE. Les modèles économétriques structurels sont aussi utiles pour le développement des modèles DSGE, dans la mesure où les écarts qu’ils présentent par rapport à ces derniers fournissent une longue liste d’énigmes potentielles sur lesquelles les théoriciens utilisant les modèles DSGE peuvent enquêter. Peut-être qu’un jour les modèles DSGE colleront tellement bien aux données que nous n’aurons plus besoin des modèles économétriques structurels, mais ce n’est pas pour demain.

Est-ce que ce que Blanchard et moi-même appelons va finir par se réaliser ? C’est déjà ce qui se fait dans une large mesure au sein de la Fed : comme Blanchard le dit, ce qui constitue effectivement son modèle est un modèle économétrique structurel. La Banque d’Angleterre utilise un modèle DSGE et le comité de politique monétaire recevrait plus de conseils utiles de son équipe si ce modèle était remplacé par un modèle économétrique structurel. Le vrai problème est avec l’université et surtout (comme Blanchard l’a identifié dans un billet précédent) les éditeurs de revues. Bien sûr, la plupart des universitaires vont continuer d’utiliser des modèles DSGE, ce qui ne me pose pas de problème en soi. Par contre, ceux qui utilisent, non pas un modèle DSGE, mais un modèle économétrique structurel, ne doivent pas être systématiquement écartés des revues les plus prestigieuses. Ils le sont actuellement et je ne suis pas sûr (malgré l’intervention de Blanchard) que cela changera bientôt. »

Simon Wren-Lewis, « Blanchard joins calls for structural econometric models to be brought in from the cold », in Mainly Macro (blog), 15 janvier 2017. Traduit par Martin Anota

vendredi 14 octobre 2016

Quelques nouvelles réflexions sur les modèles DSGE



« Plusieurs économistes ont récemment écrit à propos des avantages et inconvénients des modèles d’équilibre général stochastiques (dynamic stochastic general equilibrium models, DSGE). Outre moi-même, il y a eu Narayana Kocherlakota, Simon Wren-Lewis, Paul Romer, Steve Keen, Anton Korinek, Paul Krugman, Noah Smith, Roger Farmer et Brad DeLong.

Voici quelques remarques supplémentaires relatives à ce débat :

Je crois qu’il y a un large accord autour des trois propositions suivantes ; je ne vais pas davantage les discuter, mais je vais ensuite poursuivre ma réflexion.

1. La macroéconomie concerne l’équilibre général.

2. Différents types de modèles d’équilibre général sont nécessaires pour différents objectifs. Pour l’exploration et la pédagogie, les critères retenus doivent être ceux de transparence et de simplicité ; pour cela, les modèles DSGE constituent un bon véhicule. Pour la prévision, le critère doit être celui de la précision de la prévision, or les modèles purement statistiques peuvent, pour l’heure, s’avérer meilleurs à la prévision. Pour la prévision conditionnelle, que l’on utilise par exemple pour connaître les répercussions de la modification d’une politique économique, des modèles plus structurels sont nécessaires, mais ils doivent coller aux données et l’on ne doit pas être obnubilé par leurs fondations microéconomiques.

3. La modélisation et l’estimation en équilibre partielle sont essentielles pour comprendre les mécanismes particuliers qui sont pertinents en macroéconomie. Ce n’est seulement que lorsqu’ils sont bien compris qu’il devient essentiel de comprendre leurs effets en équilibre général. Chaque macroéconomiste n’a pas à travailler sur des modèles d’équilibre général (il y a une division du travail).

Voici deux propositions plus controversées :

1. Les modèles DSGE dans la panoplie des modèles d’équilibre général ont pour rôle spécifique de fournir un ensemble de « Meccano » macroéconomiques de base, c’est-à-dire une plateforme formelle, analytique pour la discussion et l’intégration de nouveaux éléments : par exemple, comme base à partir de laquelle nous pouvons explorer le rôle des négociations sur le marché du travail, le rôle de la fixation des prix sur les marchés des biens, le rôle des banques dans l’intermédiation, le rôle des contraintes de liquidité sur la consommation, le rôle des équilibres multiples, etc. Certains semblent penser que c’est un rôle dangereux et contreproductif, une perte de temps, ou tout du moins qu’il y ait un coût d’opportunité élevé. Je ne le crois pas. Je crois que chercher une telle structure est non seulement utile, mais aussi possible.

2. Les modèles DSGE ne peuvent jouer ce rôle que s’ils sont construits sur des microfondations explicites. Ce n’est pas parce que les modèles avec microfondations sont plus vénérables que d’autres, mais parce qu’avec toute autre approche, il est plus difficile d’intégrer de nouveaux éléments et d’avoir un dialogue formel. Pour ceux qui croient qu’il y a peu de distorsions (disons, ceux qui croient l’approche des cycles d’affaires réels), c’est une approche simple et naturelle. Pour ceux d’entre nous qui croient qu’il existe de nombreuses distorsions contribuant à faire émerger les fluctuations macroéconomiques, cela allonge et complique le périple (…). On aimerait qu’il y ait un raccourci et un point de départ différent ; je ne pense pas que ce soit possible.

La marche à suivre


Si nous n’acceptons pas les deux propositions ci-dessus, alors les modèles DSGE ne sont clairement pas la voix à prendre, fin de la discussion. Il y a plein d’autres choses à faire dans la vie. Mais si, cependant, nous les acceptons (même avec une certaine réticence), alors le rejet complet des modèles DSGE n’est pas une option. La discussion doit porter sur la nature des microfondations et les distorsions que les modèles courantes possèdent et sur la façon par laquelle nous pouvons faire mieux.

Est-ce que les modèles DSGE courants représentent un ensemble de Meccano basique, un ensemble que la plupart des macroéconomistes acceptent d’utiliser comme point de départ ? (…) Je crois que la réponse est non. (J’ai présenté mes objections dans le document que j’ai publié il y a quelques mois.) Donc, les priorités pour la recherche sont évidentes à mes yeux :

Premièrement, pouvons-nous élaborer un modèle basique que la plupart de nous serions enclins à prendre comme point de départ, de la même façon que le modèle IS-LM a pu être un point de départ largement accepté il y a longtemps ? Au vu des avancées technologiques et de la facilité avec laquelle on peut utiliser les programmes de simulation, un tel modèle peut et doit probablement être substantiellement plus large que le modèle IS-LM, mais pourtant toujours rester transparent. A mes yeux, cela signifie qu’il faut partir du modèle des nouveaux keynésiens, mais en utilisant des équations relatives à la consommation et à la fixation des prix qui soient plus réalistes et en y intégrant les décisions relatives au capital donc à l’investissement.

Deuxièmement, pouvons-nous ensuite explorer de sérieuses améliorations sur divers plans ? Pouvons-nous avoir un modèle du comportement du consommateur plus réaliste ? Comment pouvons-nous nous écarter des anticipations rationnelles, tout en gardant l’idée que les ménages et les entreprises s’inquiètent pour l’avenir ? Quelle est la meilleure manière d’introduire l’intermédiation financière ? Comment pouvons-nous traiter les problèmes d’agrégation (qui ont été largement passés sous silence) ? Comment voulons-nous procéder pour l’estimation (qui est sérieusement déficiente) ? Et, pour chacune de ces thèmes, si nous n’aimons pas la manière par laquelle on les traite actuellement, quoi proposons-nous comme alternative ? Ce sont des choses dont nous devons discuter, pas de grandes paroles sur l’opportunité ou non d’utiliser les modèles DSGE ou sur l’utilité de la macroéconomie en général. »

Olivier Blanchard, « Further thoughts on DSGE models. What we agree on and what we do not », 3 octobre 2016. Traduit par Martin Anota

mercredi 5 octobre 2016

Wren-Lewis, Blanchard et les limites de la modélisation DSGE

Ne sous-estimez pas le pouvoir des microfondations !


« Brad DeLong s’est demandé pourquoi le modèle des nouveaux keynésiens (qui a initialement été proposé pour simplement montrer comment les prix visqueux dans un cadre de cycles d’affaires réels pouvaient générer des effets keynésiens) a pu réussir à devenir le modèle dominant dans la macroéconomie moderne, malgré ses diverses insuffisances empiriques. (…) DeLong dit que sa question est intimement reliée à la question suivante : "pourquoi les modèles qui ont été microfondés d’une façon que nous savons erronée sont préférés aux modèles qui essayent de respecter les propriétés que nous observons au niveau empirique ?"

J’estime que les deux questions sont en fait la même. Le modèle des nouveaux keynésiens est la manière microfondée de faire de l’économie keynésienne et les modèles microfondés (les modèles DSGE) sont de rigueur dans la macroéconomie universitaire, donc tout universitaire orthodoxe qui désirerait analyser le cycle d’affaires d’une perspective keynésienne va utiliser une variante du modèle des nouveaux keynésiens. Pourquoi les modèles microfondés sont dominants ? De mon point de vue, c’est une question méthodologique, à propos de l’importance relative de la cohérence "interne" (théorique) des modèles versus leur cohérence "externe" (empirique).

Comme la macroéconomie était très différente il y a cinquante ans, c’est une question méthodologique très intéressante de se demander pourquoi les choses ont changé, même si vous pensez que le changement a grandement amélioré la façon de faire de la macroéconomie (comme je le pense). Selon moi, la (contre-)révolution des nouveaux classiques était avant tout une révolution méthodologique. Cependant, il y a deux problèmes avec une telle discussion. Premièrement, les économistes ne sont généralement pas à l’aise lorsqu’il s’agit de parler de méthodologie. Deuxièmement, il va être difficile de faire admettre à un macroéconomiste sous un certain âge que ce soit une question méthodologique ; celui-ci ne verra les microfondations que comme une manière de corriger ce qui s’est révélé être des insuffisances par le passé.

Donc, par exemple, vous entendrez dire que la cohérence interne est clairement un aspect essentiel de tout modèle, même si elle est acquise en sacrifiant la cohérence externe. Vous entendrez comment la critique de Lucas montre que tout modèle qui n’est pas microfondé est inadéquat pour analyser les politiques économiques, plutôt que ce soit simplement un aspect de l’arbitrage complexe entre cohérence interne et cohérence externe. Plusieurs macroéconomistes aujourd’hui ne saisissent pas que l’adoption des microfondations est un choix méthodologique plutôt qu’un simple moyen de corriger les erreurs passées. Je pense que cela a deux implications pour ceux qui veulent débattre de l’hégémonie des microfondations. La première est que le débat doit se porter sur la méthodologie, plutôt que sur les modèles pris individuellement. Les déficiences avec des modèles microfondés particuliers, comme le modèle des nouveaux keynésiens, sont généralement admises et, du point de vue des microfondations, elles fournissent simplement un agenda pour de nouvelles recherches. Deuxièmement, le manque de familiarité avec cette méthodologie signifie que le débat ne peut présumer un savoir qui n’existe pas. (Et affirmer qu’un tel savoir est nécessaire est un point pertinent pour l’enseignement de l’économie, mais c’est inutile si vous essayez de changer le discours actuel.) Cela complique le débat, mais je suis certain qu’il ne l’empêche pas. »

Simon Wren-Lewis, « Do not underestimate the power of microfoundations », in Mainly Macro (blog), 3 avril 2015. Traduit par Martin Anota



Blanchard à propos de la modélisation DSGE


« Olivier Blanchard, l'ancien économiste en chef du FMI, a écrit un bref article où il s'est montré critique vis-à-vis des modèles DSGE. Pour résumer, les blogueurs ont réagi à son article en suggérant qu’il s’est montré trop précautionneux dans ses propos : la modélisation DSGE domine complètement la macroéconomie universitaire et il est impossible que celle-ci considère soudainement ce programme de recherche comme un énorme gâchis. (Je suis d’accord avec Blanchard à l’idée que la modélisation DSGE ne soit pas une perte de temps.) Ce qui doit être débattu, ce n’est pas l’existence des modèles DSGE, mais leur hégémonie.

Blanchard recommande notamment à ce que la modélisation DSGE "devienne moins impérialiste. (…) La profession (j’entends avant tout les éditeurs des grandes revues) doit prendre conscience qu’il est nécessaire d’avoir différents modèles pour assurer différentes tâches". Le morceau le plus important dans cette phrase est celui entre parenthèses. Il fait référence à une distinction entre les modèles pleinement microfondés et les "modèles de politique économique". Ces derniers ont notamment été appelés par le passé "modèles économétriques structurels" ; ce sont les modèles auxquels Lucas et Sargent se sont attaqués.

Ces modèles économétriques structurels ont continué d’être utilisés comme modèles de base dans plusieurs institutions-clés de politique économique (sauf la Banque d’Angleterre) pour une bonne raison, mais la plupart des universitaires ont suivi Lucas et Sargent en considérant que ces modèles comme ne relèvent pas de la "bonne" macroéconomie. Leur raisonnement est simplement erroné, comme je l’ai indiqué ici. Comme Blanchard le note, ce sont les éditeurs des revues les plus en vue qui doivent en prendre conscience et arrêter d’insister pour que chaque modèle macroéconomique soit nécessairement microfondé. Dès lors qu’ils laisseront de la place pour l’éclectisme, alors les universitaires seront capables de choisir quelles méthodes ils préfèrent utiliser.

Dans une autre remarque qu’il destine aux éditeurs de revues, Blanchard touche le cœur du problème avec la macroéconomie d’aujourd’hui. Il écrit que "toute discussion d’un nouveau mécanisme ne doit pas nécessairement se faire dans un cadre d’équilibre générale". L’exemple dont il discute (et que j’ai moi-même utilisé dans le même contexte) est celui de la consommation. Les modélisateurs DSGE se sont bien sûr souvent écartés de l’équation d’Euler, mais je les soupçonne de l’avoir fait (…) plus pour une convenance analytique que pour une question de réalisme.

Ce qui semble souvent manquer dans la macroéconomie aujourd’hui est une connexion entre les personnes travaillant sur l’analyse en équilibre partiel (comme la consommation) et les modélisateurs de l’équilibre général. La préférence des éditeurs des revues les plus prestigieuses pour la seconde suggère que la première est d’une moindre valeur. A mes yeux, cela a déjà eu d’importants coûts. L’échec à prendre au sérieux les preuves empiriques montrant l’importance de la disponibilité du crédit pour la consommation contribue à expliquer pourquoi la macroéconomie n’a pas su adéquatement modéliser la réaction à la crise financière (…). Même si vous n’acceptez pas cela, l’échec de la plupart des modèles DSGE à inclure tout genre de comportement d’épargne de précaution est pernicieux lorsque la modélisation DSGE est en situation de monopole dans la "bonne" modélisation.

Les critiques à l’encontre de l’hégémonie des modèles DSGE que formulent les non-économistes, les macroéconomistes qui n’utilisent pas ces modèles ou encore les responsables de politique économique n’ont jusqu’à présent eu que peu d’impact sur les éditeurs des revues les plus prestigieuses. Peut-être que des critiques émanant d’un des meilleurs macroéconomistes au monde sont susceptibles d’avoir plus de poids. »

Simon Wren-Lewis, « Blanchard on DSGE », in Mainly Macro (blog), 12 août 2016. Traduit par Martin Anota

samedi 5 septembre 2015

Le jour où la macroéconomie changea

« C’est bien sûr ridicule, mais qui s’en soucie. Le jour de la conférence organisée par la Fed de Boston en 1978 revêt une signification symbolique. C’est le jour où Lucas et Sargent changèrent la manière par laquelle on fait de la macroéconomie. Ou, comme le dirait Paul Romer, c’est le jour où la vieille garde rejeta les idées des nouveaux venus et s’assura qu’il y ait une révolution nouvelle classique en macroéconomie plutôt qu’une évolution nouvelle classique. Ou, comme le dirait Ray Fair, qui était par ailleurs présent à la conférence, c’est le jour où la macroéconomie commença à mal aller.

Ray Fair est un peu un héros pour moi. Lorsque j’ai quitté le National Institute pour devenir un universitaire formel, j’avais pour but (avec l’aide essentielle de deux collègues excellents et courageux) de construire un nouveau modèle économétrique de l’économie britannique, qui incorporerait la dernière théorie, en l’occurrence la théorie des nouveaux keynésiens, mais qui incorporerait également quelques aspects additionnels, pour par exemple prendre en compte la possible influence des conditions de crédit sur la consommation. A la différence d’un modèle DSGE, cela impliquait autant que possible de s'appuyer sur l’estimation économétrique. J’avais précédemment travaillé avec le modèle du Trésor et configuré ensuite ce qui constitue désormais le modèle NIGEM qu’utilise le National Institute en adaptant un modèle global utilisé par le Trésor et finalement j’ai eu en charge de développer le modèle domestique de l’institut. Mais créer un nouveau modèle à partir de rien en l’espace de deux ans était une autre paire de manches. Le conseil du Conseil de Recherche Economique et Sociale (ESRC) me donna de l’argent pour le faire, mais je savais que plusieurs de ses membres pensaient que je n’y parviendrai pas. En croyant (avec raison) que c’était possible, Ray Fair fut une réelle source d’inspiration pour moi.

Je suis d’accord avec Ray Fair à l’idée que ce qu’il appelle les modèles de type Commission Cowles ou ce que j’appelle les modèles économétriques structurels, couplés avec l’estimation économétrique d'une unique équation qui leur est sous-jacente, aient beaucoup à offrir et que la macroéconomie universitaire ne devrait pas les ignorer. Ayant passé les quinze dernières années à travailler avec les modèles DSGE, je suis plus optimiste sur leurs vertus que ne l’est Fair. A la différence de Fair, je veux des modèles DSGE encore plus sophistiqués. Je suis également en désaccord avec ce qu’il pense des anticipations rationnelles : le modèle du Royaume-Uni que j’ai construit avait des anticipations rationnelles dans toutes les relations clés.

Il y a trois ans, lorsqu’Andy Haldane suggéra que les modèles DSGE étaient en partie responsables de la crise financière, je n’étais pas d’accord avec lui (comme je l’ai écrit dans ce billet). Ensuite, j’ai commencé à penser (et je continue de croire) que la banque centrale dispose des informations et des ressources pour savoir ce qui se passait avec l’endettement des banques commerciales et qu’elle ne doit pas utiliser les modèles DSGE comme une excuse pour ne pas avoir rendu publiques ses inquiétudes à l’époque.

Cependant, si nous élargissons cela hors de la banque centrale, à l’ensemble de la communauté universitaire, je pense qu’il a un point légitime. J’ai déjà parlé des travaux que Carrol et Muellbauer ont réalisés. Ces deux auteurs montrent que vous devez prendre en compte les conditions de crédit si vous voulez expliquer les séries temporelles d’avant-crise relatives à la consommation au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Les modèles DSGE peuvent éviter ce problème, mais des modèles économétriques structurels plus traditionnels auraient plus de difficultés à le faire. Donc, peut-être que si la macroéconomie universitaire avait donné une plus grande priorité à l’explication de ces séries temporelles, elle aurait été mieux préparée pour comprendre l’impact de la crise.

Que dire à propos de l’affirmation selon laquelle seuls les modèles DSGE qui présentent une cohérence interne sont capables de donner un conseil politique fiable ? Pour un autre projet, j’ai relu un article de Chari et alii publié en 2008 dans l’American Economic Journal: Macroeconomics. Les auteurs y affirmaient que les modèles des nouveaux keynésiens n’étaient pas encore utiles pour l’analyse politique parce qu’ils n’étaient pas proprement microfondés. Ils avaient écrit : "Une tradition, qui a notre préférence, consiste à garder le modèle le plus simple possible, d’avoir un nombre limité de paramètres, motivés par les faits microéconomiques, et d’accepter la réalité qu’un tel modèle ne peut, ni doit être cohérent avec la plupart des aspects des données. Un tel modèle peut toujours être très utile pour éclairer notre réflexion quant à la politique économique". C’est bien là où vous vous retrouvez lorsque vous vous laissez submerger par une vision puriste à propos de la cohérence interne, de la critique de Lucas et ainsi de suite. Vous risquez de finir par penser cela : "si je n’arrive pas à comprendre quelque chose, il vaut mieux que suppose que ça n’existe pas". »

Simon Wren-Lewis, « The day macroeconomics changed », in Mainly Macro (blog), 27 août 2015. Traduit par Martin Anota

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